Portrait • L’Odyssée architecturale de Prune Grange… à bicyclette !
« Les voyages forment la jeunesse », dit un célèbre adage, mais ils aiguisent également le regard. Pour sa mobilité Erasmus, Prune Grange, a choisi un moyen de transport peu conventionnel : le vélo. Durant ce périple audacieux, elle a parcouru à bicyclette un itinéraire reliant plusieurs pays européens, tels que la Suisse, l’Allemagne, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, l’Albanie, le Monténégro, la Bosnie, la Croatie, l’Italie et la Turquie. Son fidèle compagnon de route, un vélo « Gravel » — un hybride entre le vélo de course et le VTT — lui a permis d’affronter tous types de chemins. Une aventure solitaire qui témoigne de son amour pour le cyclisme et de sa passion pour l’architecture. Souvenirs d’une amoureuse de la petite reine.
Quand elle évoque son désir de devenir architecte, Prune Grange, étudiante en Master 2, se remémore son enfance. « Mon grand-père, architecte d’intérieur, a profondément influencé ma vision des choses. J’ai grandi dans un univers de design des années 70 et 80. Lorsque je me suis interrogée sur mon futur métier, j’ai compris que je voulais exercer une profession utile aux autres. L’architecture répondait parfaitement à ce besoin. » Après avoir obtenu son baccalauréat, la jeune femme opte pour une classe préparatoire en physique-chimie, mais elle ressent rapidement l’envie d’allier l’art et le social. « Créer pour autrui, dans une profession qui me permettrait de m’exprimer, était devenu essentiel. Le choix d’entreprendre des études en architecture était évident », explique-t-elle.
Sa licence en poche, Prune opte pour la mobilité Erasmus en Roumanie. Sa nouvelle école, l’Universitatea Tehnica din Cluj-Napoca se situe au nord-ouest du pays. Dans une ville capitale non officielle de la région de Transylvanie, non loin de la ville de Sibiu et au début des Carpathes. Pour la rejoindre, l’étudiante opte pour un choix peu conventionnel de moyen de locomotion : « Le vélo et moi c’est une longue histoire. Je le pratique depuis mon plus jeune âge, environ l’âge de 6 ans et j’ai toujours été adepte de la bicyclette. Mais c’est lors de mes études en architecture, lorsque l’école était à Luminy que j’ai vraiment exercé cette pratique. J’ai beaucoup pédalé puisque je m’y rendais tous les jours à vélo. Ce sentiment de liberté durant ce trajet quotidien était un pur bonheur. En fait, c’est la route que j’empruntais tous les jours pour aller étudier qui m’a donné envie de faire la route… »
Sur la route…
Son voyage a duré un mois. Elle est partie de Besançon et, pour le premier jour, des amis l’ont accompagnée à vélo jusqu’à l’EuroVelo, ce réseau des véloroutes européennes, porté par la Fédération européenne des cyclistes (ECF), qui propose des itinéraires cyclables à travers tout le continent. « J’ai pris l’itinéraire qui suivait les fleuves : le Doubs, le Rhin, le Danube… C’était mon premier voyage aussi long en solo et j’ai mal géré mon temps. J’ai fait pas mal d’erreurs : j’étais très chargée (j’avais pris mes affaires pour un an !) et j’avais calculé les kilomètres à parcourir sans compter les jours de repos. De surcroît, il a plu durant un mois, mon duvet était trempé et comme je dormais sous la tente, je suis arrivée à Cluj-Napoca éreintée et malade… » Mais tout ce voyage, particulièrement long, lui a laissé un bon souvenir. « Le seul voyage à vélo que j’avais fait avant celui-là était pour le festival d’Aurillac avec Lisa, une amie étudiante en architecture », précise-t-elle.
« Être seule avec la nature sur un trajet aussi long a été une expérience enrichissante. Mes souvenirs les plus marquants incluent les majestueuses chutes du Rhin à Schaffhausen, les paysages enchanteurs de Suisse et les forêts bavaroises », raconte Prune. La diversité des paysages qu’elle a traversés a été une source d’émerveillement, permettant à la cycliste de s’imprégner de l’âme de chaque région. Les paysages alternaient entre légèreté et pesanteur, mais de belles découvertes se faisaient au fil de son aventure. « Dans les Carpates, par exemple, on se rend compte à quel point la nature peut être à la fois belle et puissante… C’est tout simplement magnifique. Une montagne plus austère que celles de France, il y a d’ailleurs encore beaucoup d’ours dans ses forêts. Il s’en dégage une atmosphère particulière… c’est un endroit quasiment vierge de toute empreinte humaine ».
En tant que femme cycliste en solitaire, elle est hyper vigilante sur la route. « Dans ce genre de voyage, être un homme est un privilège : on ne lui demande pas pourquoi il a entamé ce périple ou pourquoi il est seul à pédaler »… Les gens nous regardent différemment en tant que femme…
Après quatre mois en Roumanie, dans une école à taille humaine, aussi « petite » que celle de Luminy – nous étions 50 par promo dans une faculté à taille humaine, avec huit promotions au total – Prune décide de faire une césure pour découvrir la Turquie et la Grèce. Ce voyage de retour pittoresque est complètement différent, car l’itinéraire change radicalement.
… un expérience enrichissante
Le quotidien lors de son aventure retour était rôdé : levée à 8 heures du matin. La plupart du temps, elle dormait dans sa tente, qu’elle plantait souvent chez l’habitant, surtout en Turquie et en Grèce. Prévoyante, elle avait également de quoi dormir dans des auberges, ce qui lui est arrivée 3 fois. En Turquie, elle a voulu absolument faire un détour « une boucle pour voir Phocée. C’est de là-bas que viennent les bâtisseurs de Marseille ! Quand ils ont fui l’invasion perse, les phocéens sont partis par la mer et se sont arrêtés à la calanque de Lacydon (aujourd’hui le vieux port de Marseille) car elle leur rappelait Phocée! Et effectivement le Phocée stambouliote à des allures du Vieux-Port en miniature… »
Prune prend donc le temps durant quatre longs mois, pour découvrir de nombreux pays jusqu’à son rendez-vous en Croatie avec ses parents. Déposée dans le nord de l’Italie, elle et sa bicyclette entament le trajet retour vers la France, empruntant trois des sept cols majeurs des Alpes. « Je voulais absolument être de retour à Marseille pour assister à la kermesse d’adieu organisée à l’école !»
Elle arrive à bon port et dans les temps avec son compagnon de route : son vélo. « Je l’ai acheté avec l’argent de mon stage de 3ème année effectuée en agence, il n’est pas électrique. D’où une forme physique et une musculature assez conséquente à la fin de mon aventure ».
Si elle devait donner des conseils pour celles et ceux qui voudraient suivre ses pas, c’est de bien prendre son temps, de ne pas aller au-delà de ce son corps peut endurer mais aussi, savoir réparer son vélo et trouver des astuces pour repousser gentiment les chiens errants, qu’elle a croisé à de nombreuses reprises en Hongrie. « Il ne faut pas hésiter à demander le logis aux gens dans un jardin, et s’ouvrir aux autres. Les gens que j’ai rencontré m’indiquaient des lieux à visiter. Prune n’hésitait pas à prendre ces chemins de traverse qui lui permettait de découvrir le monde qui l’entourait, et bien évidemment l’architecture des pays visités « Il faut savoir faire un pas côté, partir à la découverte avant de revenir sur son trajet initial ».
Retour aux études
De retour en France, Prune a décidé de se consacrer entièrement à ses études. Même si elle a fait Toulouse / Porto en vélo l’été dernier, elle a décidé de faire une pause. D’autant que son vélo était hors service jusqu’au 13 mai dernier, où grâce à la Journée Spéciale à l’IMVT dans le cadre du challenge Mai à Vélo, elle a pu le réparer sur les conseils de la Recyclerie Sportive. Si elle devait repartir, ce serait pour une plus longue période, une année entière à découvrir les chemins et les routes. Pour l’instant, elle prépare son PFE, qu’elle souhaite soutenir en juin prochain sous la direction de François Brugel et Stéphanie David. Son sujet de diplôme : un centre de formation pour artisan du bois et du métal. Ensuite, elle compte entamer un CAP Charpente. Pour plus maîtriser toutes ses pratiques. Puis une HMONP. Son rêve : enseigner l’architecture un jour.
Pour elle, le voyage lui a permis de gérer son anxiété devant la charge énorme de travail que sont les études d’architecture. Seule face à elle-même, elle a pu effectuer un énorme travail qui lui a appris à relativiser, à travailler sans pression et sans avoir besoin du regard des autres et de leur approbation pour exister en tant qu’étudiante. Une année de césure sportive et salvatrice, qui lui a permis de mettre à profit tout ce qu’elle a vu, y compris dans son travail d’étudiante.
L’odyssée de Prune est un exemple probant que l’apprentissage et le développement personnel peuvent prendre des formes inattendues, et que la route vers ses aspirations peut s’avérer aussi enrichissante que la destination elle-même. Son périple témoigne d’une jeune femme déterminée à transformer sa passion architecturale en une carrière qui fera une différence, non seulement pour elle-même, mais aussi pour les autres. Une aventure inspirante pour toutes celles et ceux qui rêvent de concilier passion et utilité.