Portrait • Art et Architecture en Dialogue : L’Approche d’Anne-Valérie Gasc

Anne-Valérie Gasc incarne la rencontre fertile entre art et architecture. À travers son approche pédagogique novatrice, cette artiste explore les interstices créatifs où l’art devient un vecteur de questionnement et de transformation dans le domaine architectural. Son engagement passionné pour l’enseignement, la recherche et la création artistique ouvre de nouvelles perspectives, invitant ses étudiants à embrasser l’imagination et l’invention. Rencontre.

 

Anne-Valérie Gasc se distingue dès son enfance par un talent artistique évident. Elle suit des cours municipaux des Beaux-Arts à Marseille, où des artistes comme Michèle Sylvander et Jean-Louis Delbès lui ouvrent les yeux sur l’histoire de l’art, la discipline artistique et le mode de vie d’un artiste. Ces éléments s’avèrent essentiels pour son parcours : « Toute cette expérience s’est révélée déterminante dans ma pratique future ».

Un Parcours Académique Éloquent

Elle obtient un baccalauréat en Philosophie-Mathématiques avant d’intégrer une classe préparatoire au Lycée La Martinière Terreaux à Lyon. À l’issue de ces deux années lyonnaises, elle réussit deux concours prestigieux : les Arts Décoratifs de Paris et l’École Normale Supérieure de Cachan (« section art et création industrielle »). Elle opte pour Cachan, car cela lui permet d’être « étudiante salariée, ce qui me procure une autonomie financière ». Initialement, elle n’envisageait pas l’enseignement comme une vocation. Toutefois, sa rencontre avec l’architecture lors de son agrégation en arts appliqués change la donne. Elle commence à se familiariser avec ce monde à travers l’étude de la modernité en architecture et des avant-gardes. Après une expérience pédagogique à l’Ecole Boulle, elle retourne à Marseille, où elle enseigne au Lycée Jean Perrin en création industrielle, « aujourd’hui design d’objet ».

Parallèlement à son enseignement, elle entame une thèse en Arts Plastiques à la Sorbonne et la soutient en 2005. Ce processus l’amène à redéfinir sa pratique éducative en intégrant la recherche création. En enseignant le design d’espace au Lycée Diderot, elle allie passion pour l’art et architecture, établissant ainsi un pont entre ses différentes compétences. « Au bout de quelques années, être professeur d’art plastique en école d’architecture s’est naturellement imposé à moi », précise-t-elle.

Une Artiste au Service de l’Architecture

Engagée pour dix ans avec l’Éducation nationale, elle a dû faire des choix difficiles pour réaliser son rêve d’intégrer une école d’architecture. Une étape marquante a été l’abandon de son agrégation, une véritable « blessure » pour elle. En 2011, elle entre à l’ENSA Marseille en tant que maître de conférences en art. « Moi qui avais été si mobile dans mon premier parcours professionnel, là, au sein de l’école, j’ai trouvé ma place… je ne m’y ennuie pas, j’y suis heureuse ».

Son parcours prend un tournant en 2019 lorsqu’elle soutient son Habilitation à Diriger des Recherches, suivie de sa promotion au poste de Professeur en Art et Techniques de la Représentation en 2020. Cette évolution modifie son service et lui permet de se concentrer sur le projet de recherche-création, en travaillant majoritairement avec des étudiants de master.

Lorsqu’on évoque sa place au sein de l’école, elle souligne : « J’ai toujours eu conscience que j’étais une artiste dans une école d’architecture. » Elle ne se définit pas comme architecte, mais insiste sur l’importance de son rôle. « Mon action intellectuelle, de pratique et de recherche est entièrement dévolue à la recherche architecturale mais je mène tout ça avec les outils de l’art. » Sa collaboration avec les architectes est essentielle, apportant « toute la puissance de créativité (en conception comme en représentation) du projet. »

Sa mission consiste à transmettre aux étudiants des outils intellectuels, culturels, méthodologiques et pratiques pour qu’ils puissent « acquérir une puissance inventive de renouvellement de la pratique architecturale… du projet. C’est très ambitieux, j’en conviens, mais c’est cela qui m’anime à l’école. » Avec une pédagogie centrée sur la créativité, elle souhaite préparer ses élèves à naviguer dans un monde en constante évolution.

Lorsqu’on évoque avec elle les défis à relever dans l’exercice de son enseignement, elle répond : « Ils sont multiples. Tout d’abord, des défis internes au fonctionnement de l’école et relatifs aux enseignants architectes, des défis pour l’enseignement et la recherche de l’architecture au sein de l’école comme en France, des défis pour les étudiants en leur donnant cette puissance créative pour qu’ils ne subissent pas les transformations du métier… en quelque sorte des armes pour se débrouiller dans leur vie professionnelle future. »

Elle souligne aussi la complexité de son rôle : « Défi politique, défi pédagogique, défi personnel : comment être artiste envers et contre tout au sein d’un environnement normé. » Pour elle, l’enseignement est une vocation. « Pour moi tout est possible et je veux insuffler cette puissance de création, d’invention et de révolution à des endroits où on leur dit que ce n’est possible. C’est une sorte d’émancipation pour la pensée des futurs architectes. »

Enseignante passionnée, elle ajoute : « J’aime tellement l’art et l’architecture, cela me semble tellement fondamental pour la vitalité d’une société et des gens. » Elle ressent le besoin de transmettre cette énergie : « La pédagogie est capitale, après… le labeur des outils, la nécessaire tenacité… je l’accepte volontiers car le jeu en vaut la chandelle. »

Une artiste-praticienne dans un laboratoire de recherche

Anne-Valérie est également membre permanent du laboratoire Project[s] : ce laboratoire de l’ensa•m, créé par le regretté Stéphane Hanrot, est spécialisé dans la recherche par le projet. « Les axes de recherches interrogent en quoi le projet est production de connaissances, en quoi la pratique fait recherche », explique-t-elle. « C’est cela qui m’intéresse. L’injonction du ministère, qui est donné aux écoles de s’adosser au fonctionnement universitaire, est une chance pour nous d’inventer des modalités de recherche pratique spécifiques aux ENSA. Je ne suis pas historienne, pas théoricienne, je suis une artiste praticienne et j’use de la méthodologie et de la rigueur scientifique pour asseoir la pratique artistique et architecturale dans le champ de la production de connaissance, de la recherche. Plus précisément au sein du laboratoire, je dirige l’axe «  Faire œuvre : art et projet architectural » qui est dévolu à des problématiques architecturales qui s’éprouvent dans le champ de l’art. En substance, je dirige des thèses en architecture dont les problèmes soulevés se questionnent, se traitent, s’éprouvent en recherche création et trouvent des hypothèses de réponses par la pratique (expérimentale et inédite de l’art). Je sais interroger les problèmes de l’architecture d’aujourd’hui par le prisme de l’art. Je ne suis pas architecte. Je ne fais pas d’architecture, je fais de l’art. Mais l’art peut se saisir de tout et résoudre des impasses architecturales. Soit en inventant un nouveau procédé, soit en créant une modalité de représentation inédite. » Des chemins de traverse dans une ligne droite.

« J’ai tendance à penser que l’art relève de la puissance car il rend les choses possibles là où l’architecture est une forme de pouvoir et, qu’à ce titre, l’architecture a souvent été pensée et enseignée comme une réponse alors que l’art formalise des questions ouvertes. Et ma recherche consiste à questionner le projet architectural en tant que non-réponse unilatérale. En quoi l’architecture peut-elle être pensée comme une question, une forme ouverte à l’instar d’une œuvre d’art ? » continue-t-elle.

Pratique, Enseignement et Recherche : Trois Leviers d’Action en synergie

La pratique de l’art, l’enseignement et la recherche sont les trois leviers d’action qu’Anne-Valérie Gasc active, simultanément d’ailleurs, la plupart du temps. Elle reprend : « En tant qu’artiste, mon sujet c’est la puissance de l’art : en quoi l’art a une capacité de transformer le réel établi, conformiste, immobile. L’art, c’est la vie, le doute, l’ouverture, tout ce qui est inscrit dans le vivant au sens de l’évolution, du mouvement. La vie, c’est le mouvement. Mon objet, c’est l’architecture dont je mets en crise dans mon travail, tout ce qui, en elle, s’oppose à l’art et à la vie : le confort, l’immobilisme, la pérennité, l’autorité, la permanence, le conditionnement, tout le côté immobile de la pratique la plus courante et majoritaire de l’architecture. Heureusement on ne peut pas intenter un tel procès à toute la pratique architecturale néanmoins mes œuvres viennent confronter la puissance de l’art, sa vitalité à la morbidité de la construction. Cette contradiction est mise en tension dans les œuvres et donnent des projets différents : par exemple, je crée des vidéos filmées à l’intérieur des démolitions à l’explosif des grands ensembles (projet Crash box, 2010-2013), ou encore je construis une architecture de verre qui s’effondre sur elle-même (projet Les larmes du Prince, 2014-2019), ou bien, actuellement, je travaille sur l’animation des blocs de carrières de pierre (projet Le Jeu de la vie) ».

Une exposition créée à l’école : Pas darchitecture sans structures !

L’exposition, visible dans le forum de l’IMVT jusqu’au 03 octobre 2025 est représentative du parcours d’Anne-Valérie. Elle est la parfaite illustration de son engagement au sein de l’école. « L’exposition Pas darchitecture sans structures ! est née d’un travail de deux ans, mené en séminaire avec les étudiants de master, illustrant la méthode relative à la recherche-création en collaboration avec un enseignant du champ TPCAU, architecte, Jérôme Apack et un enseignant constructeur du champ STA, Samuel Nemoz. Nous nous sommes saisis des archives de 10 ans de production du studio de projet qui a donné d’ailleurs son nom à l’exposition, « Pas d’architecture sans structure », studio dirigé par Jérôme Apack de 2011 à 2021. Archives à partir desquelles a été fait un travail d’analyse, de problématisation, de thématisation et de sélection « auquel il a fallu trouver ensuite une forme de restitution à la fois scénographique et livresque. En effet, l’exposition est l’étape préalable à la publication d’un livre ; elle est d’ailleurs pensée comme un livre ouvert. Chaque pavillon présente un usage fondamental à l’approche architecturale (abriter protéger, occuper, pratiquer, traverser, habiter) comme autant de chapitres ouverts d’un ouvrage, comme autant de typologie structurelle simple pour ces pavillons auto-construits à l’école par les étudiants.

Des projets à foison

Artiste aux multiples visages, Anne-Valérie aime le mouvement. À l’avenir, parmi ses nombreux projets, deux se distinguent par leur importance. Le premier concerne son rôle de chercheure au sein du laboratoire Projects : « D’ici la fin de l’année, nous allons publier le prochain numéro de la publication annuelle du labo que j’ai dirigée, intitulée “Venimus, Vidimus, Vicinus“. Ce numéro sera dédié à la thématique du voisinage. Il s’inscrit dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt “Engagés pour la qualité du logement de demain“ lancé en 2021 par le Ministère de la Culture qui vise à encourager des expérimentations architecturales qui allient qualité d’usage des logements et transition écologique dans le contexte post-Covid. Cette publication restitue le travail collectif de recherche lié au programme immobilier « Citadelle Briançon » de l’architecte Matthieu Poitevin et du promoteur Quartus et met notamment l’accent sur nos diverses initiatives artistiques liées à la création de relations de voisinage issues de ce projet. »

Parallèlement, en tant qu’artiste, elle développe un projet intitulé « Le Jeu de la vie » qui vise à déconstruire la logique extractiviste des carrières de pierre de Fontvieille. Les premières œuvres de ce projet seront exposées début 2027 au Musée d’Art Contemporain de Marseille, dans le cadre d’une exposition collective qui explorera les héritages, influences et regards critiques que les artistes portent sur le travail de l’architecte Fernand Pouillon.

Le parcours d’Anne-Valérie est un témoignage inspirant de son engagement passionné envers l’art et l’architecture. À travers son cheminement, elle réussit à allier enseignement, recherche et création, ouvrant ainsi la voie à des perspectives novatrices et enrichissantes. Elle considère que l’art et l’architecture sont des éléments fondamentaux pour la vitalité de la société, et c’est cette passion qu’elle transmet à ses étudiants : «Je ne peux que leur conseiller de fréquenter des artistes, des plasticiens, des poètes, des danseurs, des circassiens, des écrivains, des musiciens dans le but de se nourrir de l’énergie de ces mondes obsessionnels, alternatifs et originaux».

Claudie GAUDIN
Photographie : Jimmy BENHAMOU