Option Engagement pour le bien commun

Quels (en-)jeux pour l’urbanisme commercial ? 

Louna Deville – Benoît Satger – Alyson Tur

Réunis ce semestre dans une option intitulée “Engagement pour le bien commun”, il s’est agi pour nous de proposer une action personnelle et engagée autour de la notion de “bien commun”, en lien avec des travaux d’étudiants de l’ENSA•M et de l’IUAR, réalisés sur l’urbanisme commercial lors des semestres précédents. Nous avons mis en place un jeu qui pourrait être l’occasion d’une sensibilisation aux enjeux contemporains des zones commerciales et permettrait d’effectuer des entretiens afin de faire émerger les points de vue des usagers et usagères des centres commerciaux. Cet espace de dialogue a pour volonté de les mobiliser en tant qu’acteurs et actrices en vue de nous aider à (re-)penser ces zones urbaines et péri-urbaines dans une perspective plus soutenable, tant au niveau écologique que social.

Le 1er mars 2021, dans le cadre de la restitution du projet De l’(in)hospitalité des centres commerciaux à la soutenabilité de l’urbanisme commercial. Analyse urbaine de sites existants en région PACA et regards prospectifs, co-porté par l’IUAR et l’ENSA•M, en réponse à l’appel à projet “ Fabriques de la connaissance, 2019-2020 “, financé par la Région Sud,nous avons présenté la proposition de jeu dont nous détaillons les phases d’élaboration ci-dessous.

Intéressés par l’urbanisme commercial qui touche le territoire national, les citoyens dans leur ensemble et le fonctionnement même de notre société, nous nous sommes engagés depuis le début du projet à différents stade de notre parcours d’études. Louna Deville et Alyson Tur, actuellement en master, avaient déjà travaillé sur ce thème à travers leur rapport d’étude de troisième année de licence et de leur rendu de séminaire de master à l’automne 2020-2021. Benoit Satger avait lui aussi choisi d’aborder cette question dans un exercice de 2ème année qu’il a souhaité ensuite développer dans son rapport d’étude de licence.

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Enjeux et objectifs

Le travail explicité par la suite découle de notre prise de connaissance de l’ensemble des productions des étudiant·e·s de l’IUAR et de l’ENSA•M et de notre lecture du rapport de synthèse. Notre position commune a été de mettre en lumière la diversité des usages analysés. Dans le rapport, la catégorie des acteurs rassemblait les commerçants, les investisseurs commerciaux et les pouvoirs publics. Nous souhaitions mettre plus en valeur la parole des personnes qui fréquentent les zones commerciales : les usagers et usagères des lieux (clients ou personnels), intervenants majeurs, selon nous, des espaces commerciaux.

Nous voulions retrouver la complexité de l’expérience vécue à travers des récits. Nous nous sommes alors rapidement mis d’accord sur l’idée d’une démarche participative, car elle nous semblait un moyen efficace de prolonger les réflexions du rapport.

Ce premier temps de travail commun a agi comme un moment de formation du trinôme de travail, certaines se connaissant bien et d’autres moins.

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Approche

La vision partagée n’était qu’une idée. Il était désormais nécessaire de se pencher sur une matérialisation de notre projet. Comment développer une proposition quand nous voyions qu’il en existait une multitude ? Afin d’initier la dynamique, nous nous sommes imposé un exercice : jeter une ébauche sur le papier, une intuition en dix minutes maximum. Cela a exigé de se faire confiance, de réfléchir vite, sans appréhension de jugement.

Nous avons tous produits des dessins, dont la démarche et le résultat sont légèrement différents. Si Alyson et Louna ont favorisé le croquis associé à des mots, Benoît schématisait un plan et racontait son expérience propre d’un centre commercial, dans une prise vidéo. Ceci était inspiré de la référence Plans de situation de Till Roeskens qui est devenu le point d’appui principal pour notre travail.

Premières tentatives de raconter le centre commercial

Nous avons alors décidé de centrer ce travail participatif autour de la carte-plan qui permettait de déployer la narration. En effet, nos formations en architecture placent souvent cet outil comme élément préférentiel de représentation de l’espace. La carte schématique nous a semblé être le moyen le plus évident, à la portée du plus grand nombre, pour traduire un lieu et ses usages. Il fallait coupler le dessin à la parole, inciter les usagers à exprimer leur expérience afin de mettre en exergue leurs pensées. Nous voulions enregistrer le tout en vidéo.  C’est à ce moment-là que l’association d’idées entre carte géographique ou sensible et jeu de cartes nous est apparu clairement.

La période sanitaire et de confinement nous a obligé à réduire nos rencontres des usagers sur site, préservant malgré tout l’expérimentation d’entretiens, dans le cadre privé, parmi nos connaissances qui nous a permis de mettre à l’épreuve notre prototype.

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Mise en place du jeu

La première étape de construction du jeu participatif a été le choix des grandes thématiques et mots associés qui constituent le jeu de cartes. C’est à partir de la relecture des travaux des étudiants de l’IUAR et de l’ENSAM que les premières thématiques relatives aux usages, dynamiques et caractéristiques des centres commerciaux ont émergé : usages, offre, environnement, sécurité, accessibilité, promenade et aménagement.

Première version de la liste des 7 grandes familles de mots

Dans un second temps, nous avons tenté une première esquisse de fonctionnement du jeu. Celui-ci s’organisait de la même manière qu’un entretien, où nous pouvions accompagner notre interlocuteur s’il faisait face à une difficulté ou bien le questionner sur un thème qui méritait d’être approfondi.

Dans un premier temps, nous avons testé le jeu entre nous avec un membre du trio qui n’était pas au courant des règles, afin de vérifier que celles-ci étaient compréhensibles et que les cartes piochées permettaient d’ordonner un récit.

Les tests effectués avec les quelques membres de nos entourages ont permis de mettre en évidence le caractère trop technique de nos thématiques, découlant d’un vocabulaire spécifique de notre formation, peu abordable pour le grand public. L’incompréhension interrompait à plusieurs reprises l’entretien.

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Évolution du jeu

Cela nous a permis de restructurer les mots en cinq grands thèmes (usages, sécurité, accessibilité, territoire, aménagement) et de simplifier les mots de chaque famille, afin qu’ils soient plus accessibles sans pour autant réduire les thématiques.

Jeu de carte finalisé avec les grandes familles de mots

Nous avons également enrichi notre regard sur les thématiques, repérant encore plus clairement avec les premiers participants, des appropriations inédites et des manières singulières de vivre ce lieu. Par ailleurs, parmi les usagers et usagères se trouvent non seulement des client·e·s potentiel·le·s (qu’ils achètent ou non dans le centre commercial) mais aussi des personnes qui y travaillent. Bien souvent est revenue la question des espaces et du temps, dédiés aux enfants, avec des aménagements très variés d’un centre à l’autre et qui sont pensés pour inciter les achats en famille. Par ailleurs, se distingue l’usage des adolescents, peu consommateurs, qui utilisent les zones commerciales comme point de rencontre.

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Règles du jeu

Le jeu est pensé en constante évolution. Les joueurs en l’expérimentant offrent une matière à réflexion. A chaque partie, ils sont une source d’information nouvelle qui permet à la fois d’ajuster et d’affiner notre travail, d’enrichir le jeu de problématiques à côté desquelles nous serions passées, de remettre en question certaines idées initiales.

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Entretien 

Le fait de mettre en place un dispositif non conventionnel d’entretiens nous a permis d’engager plus facilement le partage des récits de vie des participants qui nous ont dévoilé ainsi leurs réflexions sur leurs pratiques des zones commerciales. Une fois le jeu lancé, il n’a pourtant pas été simple pour les participants de se livrer. La caméra, la feuille, le stylo, les regards, notre présence ont été un ensemble d’éléments qui ont eu tendance à intimider. Nous avons également eu de nombreux ratés ou maladresses lors de nos premiers entretiens. Nous avons constaté que la création d’un cadre convivial était nécessaire, afin que la personne interrogée livre plus facilement ses souvenirs.

Comment filmer sans gêner ? Comment interagir sans brusquer, ni nuire au récit ? Le matériel, le nombre de personne dans l’interaction et leur disposition spatiale nous ont longuement interrogés. Nous avons alors choisi de nous munir d’une caméra avec un trépied si l’entretien se déroulait entre deux personnes, afin que les incommodités techniques n’empiètent pas sur l’échange.

Extrait de l’entretien filmé de Stéphanie (53 ans), centre commercial Le Pontet, Avignon. Cartes tirées : Culture locale – Interactions – Publicité – Surveillance – Services.

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Récit

Au fur et à mesure des expérimentations, nous nous sommes rendu compte que le support de carte en lui-même n’était pas l’essentiel de notre recherche. Le récit capté, parfois un peu saccadé, interrompu, long, ponctué de relances et de questionnements, était le plus important. Il reflète la pensée du participant et l’interaction établie avec nous. Ces narrations composées d’éléments complémentaires, la carte en papier, la vidéo et l’entretien, tissent à travers la diversité des médias la richesse du vécu des participants.

Extrait de l’entretien filmé de Jérôme (45 ans), centre commercial Géant Casino, Salon de Provence. Cartes tirées : Attente – Moyens de transport – Renseignements – Ressentis – Écologie.

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Ouverture  

Nous avions pour ambition d’étendre le champ de nos entretiens aux usagers et usagères des centres commerciaux, rencontré·e·s sur site. Nous souhaitions installer dans l’un d’eux un espace de rencontre agréable et convivial au sein duquel ils auraient pu participer, observer, flâner, discuter… Ce processus de partage entre les personnes rencontrées et nous, étudiant·e·s en architecture, aurait permis d’une part d’enrichir les points de vue et, de l’autre, de les sensibiliser sur l’impact qu’ils ont, en tant qu’acteurs et actrices de la vie du centre commercial car, après tout, un centre commercial n’est rien sans leur présence.

Dès le départ, nous connaissions la difficulté d’engager un tel travail dans la situation sanitaire actuelle, gardant pourtant l’espoir de mettre en place notre dispositif projeté dans le semestre. Malheureusement, le troisième confinement et les restrictions d’accès pour les grandes surfaces nous en a empêchés. C’est pourquoi, afin de valoriser, partager et transmettre cette expérimentation à toutes et à tous, en vue d’un développement postérieur, nous avons décidé de publier notre démarche ici. 

A travers cette proposition expérimentale, nous souhaitons remettre au premier plan ce qui nous a paru évident, à savoir l’importance des usagers et usagères dans la définition des enjeux présents et futurs de ces espaces commerciaux.

Marseille, juin 2021.

Louna Deville, Benoît Satger, Alyson Tur.

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