Portrait • Nina Kaelbel : l’exploratrice

Jeune architecte engagée, alliant pluridisciplinarité et action sociale, cette passionnée de terrain a parcouru de nombreux horizons avant de poser aujourd’hui ses bagages à Mayotte pour concrétiser ses convictions. Rencontre.

Née à Digne-les-Bains, dans les Alpes-de-Haute-Provence, Nina a parcouru la France, de Toulouse à la Normandie, dès son plus jeune âge. « Je suis une ‘basse-alpine’ », aime-t-elle préciser, fière de ses racines. Son parcours scolaire reflète cette curiosité pour les disciplines variées : un baccalauréat ES avec spécialité mathématiques et option art, où elle décroche la note maximale à l’option. « J’avais envie de toucher à tout, de ne pas me limiter », explique-t-elle. Entamer des études d’architecture l’a très vite intéressée : « Pas forcément le fait de vouloir construire des maisons… mais l’architecture offre la possibilité de se confronter à de nombreuses disciplines, c’est cela qui m’a convaincue »

« Sur Parcoursup, j’ai regardé minutieusement, voire même décortiqué les programmes des ENSA », explique-t-elle. Après une analyse minutieuse de toutes les options possibles, elle choisit l’école de Marseille, attirée par la pluridisciplinarité proposée. « L’histoire, l’anthropologie, les sciences techniques, tout dans un même cursus, c’était exactement ce que je recherchais », confie-t-elle. 

Des études ponctuées de voyages inspirants

En 2018, elle entre à Luminy pour sa première année. « La première année était incroyable, surtout quand on a fait notre premier bivouac. Au début, on se place à côté de ceux qui nous ressemblent, mais le lendemain, tout change. On voit qui est qui, pas par l’apparence, mais par nos affinités. » Elle évoque avec enthousiasme ces moments : « C’était génial de redistribuer les cartes, de construire ce qui est devenu de réelles amitiés avec le temps ».

Elle commence aussi par le biais de ses études les voyages : « Je suis partie en Erasmus aux Canaries et au Chili, à Valpareiso : c’est là que j’ai vu que l’auto construction pouvait bien marcher si elle était encadrée par des artisans ».

Elle garde d’excellents souvenirs de l’école et de ses enseignants : « Les professeurs étaient vraiment investis, c’était une chance d’apprendre autant. » Son intérêt pour la pratique et la conception la conduit à explorer différents projets de master, notamment le studio de Mutations avec José Moralès et Rémy Marciano. Son projet de fin d’études à Naples, sur la requalification d’un quartier souterrain, témoigne de sa capacité à mêler imagination et maîtrise technique : « J’ai travaillé sur Rione Sanita, un cratère avec une forêt dedans, accessible par un souterrain. C’était un lieu incroyable. Mon projet voulait transformer cet endroit  avec des sections de bois manuportable (de – 6 mètres) en bois et pierre en créant une salle de marché, la possibilité de ballade dans les souterrains avec des salles d’expositions, enfin un parcours de santé et des espaces associatifs ». Elle obtient son PFE avec la note de 16/ 20.

« Après j’ai entamé un TPER, focalisé sur le travail des artisans, comment on manipule la matière et j’ai travaillé sur les îles flottantes du lac Titicaca avec comme encadrant Chiara Silvestri et Mateo Fano, dans le cours dirigé par Matthieu Duperrex . Je suis donc allée au Pérou pour travailler avec les artisans ». Pour ce faire, elle a comme à son habitude, « enquêté ». « J’ai cherché sur le net une fête étudiante, j’ai contacté l’un des chaperons de cet évènement, qui m’a redirigé vers un professeur ». Elle a pu effectuer un stage recherche d’un mois dans un laboratoire à l’Universitad nationale arquitectura e urbanismo de Puno. « Le lac Titicaca, c’était magique, très beau… »  Elle en parle avec passion : « C’est un endroit enchanté, et j’ai voulu comprendre comment les artisans manipulant la matière travaillent. » Son stage lui a laissé une empreinte durable : « J’avais envie de valoriser leurs savoir-faire, de préserver ces techniques traditionnelles. » Elle obtient son TPER avec la note de 18/20. Mais Nina n’a pas fini d’arpenter le monde…

De Marseille à  Mayotte

Sa volonté d’aller au contact des réalités concrètes la conduit à Mayotte, où elle effectue un stage chez Encore Heureux ! et Eco-architectes. « J’ai trouvé ce stage par une annonce sur Instagram. Je voulais voir concrètement comment on construit là-bas, avec des matériaux locaux et respectueux du contexte. » Là-bas, elle découvre un territoire marqué par l’insalubrité, la pauvreté et un fort besoin d’engagement social. « La vie là-bas est difficile, beaucoup de logements sont insalubres, auto-construits, en tôle ou en terre… Mais tout le monde veut s’en sortir, il y a une vraie volonté de changement. » Sur le terrain, elle participe à un chantier de construction d’un lycée, où l’accent est mis sur des techniques écologiques adaptées au contexte local : constructions en bois, en briques de terre compressée, conception parasismique et anticyclonique. Elle se souvient : « J’ai travaillé sur un chantier énorme, j’en ai beaucoup appris, j’ai visité, enquêté, compris chaque détail. » Son immersion dans ce chantier, où elle rédige chaque semaine un éditorial, lui ouvre les yeux sur l’importance de préserver et de transmettre les techniques locales, tout en apportant des solutions innovantes pour améliorer la vie des habitants.

Et Nina l’exploratrice décide de poser ses valises : continuer à vivre à Mayotte, à y travailler, à défendre une architecture socialement engagée, tout en développant un travail autour des fibres naturelles, comme le roseau, pour intégrer les savoir-faire traditionnels dans la construction contemporaine.  « Je veux continuer à vivre à Mayotte, aider à construire un avenir plus durable et socialement équitable. A Mayotte, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues. On a besoin d’architectes, de nombreuses en initiatives sont en cours et tous les personnes engagées et les architectes sont les bienvenus. Tous peuvent avoir de l’importance pour accompagner les habitant de l’île». Elle va intégrer HARRAPA, une agence engagée socialement dans des projets publics mais également pour les plus démunis. « Ils construisent en BTC et en bois (des petits sections) en formant et encourageant la formation de charpentiers sur place. Le fait de travailler avec des petites sections de bois évite de solliciter systématiquement le lamellés collés », précise-t-elle.

Consciente des enjeux, elle espère plus tard poursuivre une thèse pour approfondir ses recherches sur les fibres naturelles et leur potentiel dans l’architecture moderne. « Reprendre des techniques traditionnelles est pour moi essentiel. Avec les nouvelles règles écologiques, il faut privilégier des matériaux faibles en empreinte carbone. » Elle précise : « Mon rêve, c’est de mettre en pratique tout ce que j’ai appris, de faire le lien entre technique, tradition et environnement. Il faut préserver ces savoir-faire, avant qu’ils ne disparaissent, et leur donner une place dans les constructions durables de demain. » Elle confie enfin : « J’ai envie d’apporter ma pierre à l’édifice, en mêlant engagement social, innovation et respect des traditions. »

Lorsqu’on lui demande quels conseils elle pourrait prodiguer aux étudiants, elle sourit « Il vous faut toujours chercher où est ce que vous serez le plus à l’aise, de pas se conformer aux directions qu’on vous propose, à Marseille, vous avez la chance d’avoir un panel d’enseignements différents, vous trouvez certainement celui qui vous convient. Il ne faut pas avoir peur de s’écarter du chemin car en se spécialisant, c’est bien plus attractif souvent…». Elle reprend « N’hésitez pas à postuler aux stages de la permanence de chantier après votre diplôme, cela permet de faire une transition entre l’école et le monde pro. Une transition douce mais qui s’avèrera très enrichissante, voire révélatrice ».

Nina a une foultitude de projets en tête : Explorer la cuisine du monde, découvrir de nouvelles saveurs, faire de nouvelles rencontres, découvrir de nouveaux paysages, tenter de nouvelles expériences. « La preuve dans ma nouvelle agence, je vais intégrer une troupe de théâtre… »

Professionnellement, elle rêve de travailler sur la rénovation de bâtiment ou de l’architecture d’urgence avec les roseaux : « Car il y en a partout dans le monde, sauf à Mayotte… ».

Au fil de son parcours, Nina Kaelbel incarne une volonté affirmée de créer un avenir où l’humain, la technique et la nature s’unissent en harmonie. Il ne fait aucun doute qu’elle continuera à parcourir le monde pour pratiquer l’architecture… en bambou, de préférence.

Portrait : Claudie GAUDIN
Photographie :  Jimmy Benhamou

Mayotte (photos N.K)