Cycle pédagogique des conférences de l’ensa•m – Printemps

Thématique : « Actualité politique de la discipline architecturale »

Argument

 « Mais de quoi cette « crise » est-elle le nom pour les architectes ?… Au fil du XXe siècle, la profession n’a cessé de se fragiliser, de se paupériser, de se précariser. La fracture entre la prolétarisation du plus grand nombre et la starisation de quelques-uns semble être une constante du milieu architectural contemporain. Loin d’en être la cause, cette énième crise (subprimes 2007), ne fait que l’aggraver, n’enrayant nullement, par ailleurs, les logiques qui amenuisent depuis longtemps la marge de manœuvre des architectes : industrialisation et intégration massive des matériaux, des outils et des procédures, prolifération cacophonique des normes, parcellisation des compétences et des financements, etc. Ces logiques se superposent, se conjuguent et tendent à produire des espaces toujours plus génériques et appauvris qui, de capotages en cache-misère, de surfaces planes en boîtes lisses, sonnent creux et vieillissent mal — péremption alimentant en boucle cette même industrie de la construction ; bref, l’équivalent architectural de ce qu’Ikea est au design d’ameublement. »[1]

Difficile de faire plus court et péremptoire que Pierre Chabard pour faire l’état des lieux contemporains des architectes et de l’architecture. Ajoutons y seulement que l’appauvrissement du métier emporte avec lui aujourd’hui celui de la discipline. Les écoles d’architecture s’en ressentent, qui commencent à envisager la formation d’un architecte comme un assemblage d’expertises, de la norme (PMR, sécurité, DTU, etc.), des outils (pack Adobe, Office, Abvent, BIM, etc.), de la communication et de la gestion (formations diverses et Hmonp). C’est pour y réagir que nous proposons ce cycle de conférence. A l’heure où Bruno Latour pose la question « Où atterrir ? », Il y a un besoin –comme toujours, urgent- de faire valoir le projet d’architecture comme un objet à la fois singulier et absolument actuel.

[1] Pierre Chabard, « Utilitas, Firmitas, Austeritas » Criticat n°17, printemps 2016, pp 39-53

Mardi 05 Mars : Jacques Fredet : Architecture : Mettre en forme et composer.

L’exposé propose de commenter les principes, concepts et opérations élémentaires de la mise en forme du projet architectural que l’on peut discerner par l’examen d’exemples convenablement choisis dans l’histoire ‒ XXe siècle inclus. Il s’agit d’en rappeler les outils fondamentaux au seuil d’une mutation profonde de la profession d’architecte. Cet ensemble sera introduit par le truchement du dessin d’architecture en tant que mode codifié de projections orthographiques coordonnées permettant de représenter ‒ et surtout d’explorer par la pensée ‒ un projet en gestation ou un bâtiment préexistant grâce à une faculté de composer que l’œil acquiert lorsqu’il est associé directement à la main. On esquissera ensuite le champ d’une morphologie architecturale, notamment les différentes géométries qui la sous-tendent (topologique, euclidienne, taille, nombre et proportion) en proposant une méthode des tracés qui, partant du premier trait, prendra pour exemple la maison Fisher (Louis I. Kahn, 1966). Seront ensuite exposées les catégories architecturales énoncées par Vitruve et reformulées par Alberti comme par ceux qui s’en sont inspirés. Mettre en forme et composer est extrait d’un ouvrage de 13 fascicules, en cours de publication. Il invite lecteur et auditeur à aiguiser leur jugement. Ceux-ci ne sont pas obligés de souscrire au point de vue de l’auteur. Mais pour le réfuter, il leur faudra affûter leurs arguments.

Architecte diplômé de l’École des beaux-arts de Paris, Jacques Fredet suit à l’université de Philadelphie l’enseignement de Louis I. Kahn avant d’intégrer son agence pendant trois ans. Ensuite, il enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville. Il s’est spécialisé dans la connaissance de la construction des bâtiments anciens (diagnostic de leurs structures et pathologies) et dans l’étude des logiques spatiales de composition. Il a publié un Guide du diagnostic des structures dans les bâtiments d’habitation anciens (éditions Le Moniteur, en collaboration avec J.-C. Laurent) et Les Maisons de Paris : types courants de l’architecture mineure parisienne de la fin de l’époque médiévale à nos jours (éditions de l’Encyclopédie des nuisances).

ensa•m – 19h – Amphithéâtre Puget

Jeudi 14 Mars : Pierre Chabard : Architectures de crise / formes d’engagement.

La crise financière (dont on vient de fêter les 10 ans) et les programmes d’austérité économique qui l’ont suivi ont-ils eu pour effet collatéral de re-politiser le champ architectural? Alors qu’on peut constater un intrigant décalage entre les discours pessimistes sur l’avenir (social, économique, écologique, etc.) et la santé florissante du néo-capitalisme, la question n’est donc pas tant de définir ce que cette crise est, ni même de spéculer sur sa réalité. Il s’agit plutôt d’observer ce qu’elle fait, ce qu’elle produit, ce qui s’accomplit en son nom, comment les architectes contemporains y ont réagi, par quelles recompositions du cadre théorique, pédagogique, esthétique ou éthique, par quelles stratégies d’engagement.

Pierre Chabard est architecte, diplômé en 1998 de l’École d’architecture de Paris-Belleville. Titulaire du D.E.A. “Projet architectural et urbain” (2000), il soutient sa thèse de doctorat en mars 2008 (Exposer la ville : Patrick Geddes et le Town planning movement, Th : Université Paris VIII, 2008, 2 vol., 763p.). Maître-assistant en histoire de l’architecture depuis 2004, il enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris La-Villette et à l’École Spéciale d’Architecture. Depuis la fin des années 1990, Pierre Chabard pratique la critique d’architecture dans différents cadres. Collaborateur de l’exposition Archilab à Orléans, il participe à la rédaction des catalogues des quatre premières éditions (1999-2002). Contributeur occasionnel de plusieurs revues d’architecture (L’architecture d’aujourd’hui, AMC, d’A, A+, Cahiers du Mnam, etc.), il a fait partie du comité de rédaction de la revue Le Visiteur entre 2001 et 2003, avant de co-fonder Criticat (2007).

ensa•m – 19h – Amphithéâtre Puget

Lundi 08 avril : Paulo David : Continuity.

“Madeira Island, with its volcanic genesis, has materialized itself into a heterogeneous territory with peculiar orography, where a central mountainous mass defines the highest elevation areas. Along this area, and below the cloud level, the deepest valleys and the densest arboreal masses from local forest can be found.  By contrast, above this line, the territory presents itself as rude, bare and with harsh environment. And at all times, the ceaseless ocean invades the island’s undertakings. It is within this limit that the architect Paulo David works. He exercises the slow listening of the past, in the search of the archaism’s potentialities – of a knowledge that comes in the pace of slowly-ness, through an attention to the world and to the gestures within it – of that incisive exercise of a power as firm and silent as there only has been in an ancient time.”

“L’Île de Madère, de par son origine volcanique, s’est matérialisée en un territoire hétérogène à l’orographie particulière, où une masse montagneuse centrale définit sa région la plus élevée. Le long de cette dernière, sous la barrière des nuages, de profondes vallées et des masses arborescentes des plus denses de la forêt locale s’y sont développées. Par contraste, au-dessus de cette limite, le territoire devient désertique et l’environnement particulièrement dur. En même temps, l’océan pénètre les moindres criques que l’île lui accorde. C’est avec cette frontière que l’architecte Paulo David travaille. Il s’exerce à l’écoute attentive du passé  dans la recherche des potentialités de l’archaïsme – il s’imprègne de la connaissance qui vient du rythme de la lenteur, par l’attention que l’on porte au monde et aux gestes qui le composent –  dégageant de cet exercice incisif un savoir immuable et  silencieux qui relève des temps anciens”.

Paulo David a commencé sa carrière d’architecte à Lisbonne où il a collaboré avec Gonçalo Byrne de 1988 à 1996, et João Luís Carrilho da Graça en 1989. Il s’établit à Funchal en 1996 et fonde son agence sur son île natale. Son  architecture prend véritablement  ancrage dans l’île de Madère qu’il retrouve après avoir obtenu une certaine reconnaissance au Portugal. Avec des bâtiments puissants, où les matériaux sont essentiels, son travail n’est pas sans rappeler ceux d’Alvaro Siza, Eduardo Souto de Moura ou Peter Zumthor. Parmi les nombreuses réalisations de Paulo David, on peut citer le Centre d’art Casa das Mudas à Calheta au Portugal conçu en 2004. Cette architecture monumentale en basalte noir, dédiée à l’art, est érigée sur une falaise au-dessus de l’Océan Atlantique. Le Centre d’art valut à Paulo David une nomination pour le prix Mies Van der Rohe en 2005. En 2012, l’architecte a remporté la Médaille Alvar Aalto à Helsinki.

ensa•m – 19h – Amphithéâtre Puget

 Lundi 03 juin : Pierre Caye.

Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure,  philosophe, directeur de recherche au CNRS, fort d’un travail approfondi sur les théories architecturales renaissantes et classiques et sur l’architecture humaniste, nous montre que « par sa conception du projet et par son sens de l’organisation, l’architecture humaniste et classique n’a rien à envier aux rationalités de la technique moderne. Cependant, la raison architecturale et les machines qu’elle conçoit ne cherchent ni à provoquer la Nature, ni à en intensifier l’énergie, mais simplement à l’embellir. Autre relation de la raison au monde. « Sous la forme de l’architecture, la technique est d’abord au service de l’empire que l’homme doit gagner sur lui même avant de l’exercer sur le monde ».

Mucem – 19h

Lundi 10 juin : Antoine Picon.

Ancien élève de l’Ecole Polytechnique, architecte et ingénieur, directeur de recherche à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et Professeur à la Graduate School of Design de l’ Université de Harvard , dans « l’Ornement architectural , entre subjectivité et politique » fait écho à l’argument de Pierre Caye d’une architecture comme décor du monde. Interrogeant le statut de l’ornement dans la culture classique et sa soudaine réémergence contemporaine, il établit que « la question de l’ornement permet en réalité de poser plus généralement celle du sens de l’architecture au sein du monde contemporain »

Mucem – 19h

Lundi 17 juin : Pier Paolo Tamburelli.

Le bureau Baukuh, représenté par Pier Paolo Tamburelli et / ou Andrea Zanderigo , architectes formés à Gènes pour le premier, à Venise pour le second et au Berlage institut pour les deux, fondateurs avec d’autres de la revue San Rocco, enseignants l’un et l’autre, Tamburelli comme visiting professor à l’université de l’Illinois à Chicago, Zanderigo comme professeur à l’ école d’architecture de Mendrizio, le bureau Baukhu donc,  mène en pratique -voir la Casa della memoria à Milan- comme en théorie – voir « deux essais sur l’architecture »- un travail sur la possibilité d’une architecture conforme au programme théorique de San Rocco : produire « une architecture à la fois ouverte et personnelle, monumentale et fragile, rationnelle et intrigante ». Dans « cutting holes in the trash »Tamburelli et Zanderigo posent, en analysant le travail de Kersten Geers et David Van Severen, une hypothèse moins optimiste que celle du décor du monde, où, à l’instar d’oasis dans le désert, le rôle contemporain de l’architecture vaudrait comme la délimitation d’espaces en tension vis à vis d’un monde chaotique, archipels d’architecture où patiemment seraient reconstruits une culture et un art de vivre savants.

Mucem – 19h

Le cycle des conférences de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille de printemps se fait en partenariat avec la Maison de l’Architecture et de la Ville PACA et le MUCEM.